Pollution pétrolière et dégradation des écosystèmes halieutiques du Lac Albert — Tilenga & Kingfish
Par John TOLY, Militant pour de la Justice Environnementale et Sociale !
Le développement des champs pétroliers Tilenga et Kingfisher, autour du Lac Albert (région Ouest de l’Ouganda, frontalière avec la RDC), expose déjà les écosystèmes aquatiques et les moyens d’existence des pêcheurs à des risques sérieux : pollution chimique (déversements, eaux produites), fragmentation et perte d’habitat liée aux infrastructures (plates-formes, routes, pipelines), surextraction d’eau, et impacts socio-économiques sur les communautés halieutiques. Cet article synthétise les preuves disponibles, les failles identifiées dans les études d’impact, et propose des mesures prioritaires pour réduire les dégâts et protéger les populations riveraines.
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Contexte et acteurs
Les projets Tilenga (opérateurs conjoints : TotalEnergies / partenaires historiques) et Kingfisher (opéré notamment par CNOOC) sont au cœur du développement pétrolier autour du Lac Albert et de l’itinéraire du pipeline EACOP qui doit relier les champs à la côte tanzanienne. Ces projets comprennent forages, pad-sites, installations de traitement, réseaux de pipelines et routes d’accès — autant d’éléments qui augmentent l’empreinte écologique locale.
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Principaux risques pour l’écosystème halieutique
1. Pollution accidentelle et contamination chronique
- Déversements d’hydrocarbures (fuites de puits, accidents de transport) peuvent enrober les poissons, réduire l’oxygénation de l’eau, et contaminer les sédiments (où se concentrent de nombreuses espèces juvéniles).
- Eaux produites et boues de forage : si elles sont mal gérées, ces eaux (chargées en hydrocarbures, métaux et produits chimiques) constituent une source de pollution chronique pour le lac. Des rapports et études d’ONG alertent sur le risque réel de rejet et sur des systèmes de suivi et responsabilité insuffisants.
2. Perte et fragmentation d’habitat
Les implantations (well pads, routes, zones industrielles) détruisent des zones de frayères, herbiers aquatiques et mangroves lacustres qui servent de nurseries halieutiques. Les études d’impact reconnaissent des impacts « importants » sur certains services écosystémiques mais les audits indépendants estiment que l’analyse et les mesures d’atténuation restent incomplètes.
3. Pression hydrique et modification des régimes
L’abstraction d’eau pour les opérations (eaux de forage, refroidissement) et l’altération des bassins versants peuvent modifier la qualité et la quantité d’eau douce arrivant dans le lac — avec des conséquences possibles sur la production primaire (phytoplancton) et, par effet domino, sur les stocks de poissons. Des audits ont identifié des lacunes dans l’évaluation des conséquences de l’abstraction d’eau.
4. Effets socio-économiques directs sur les pêcheurs
Enquêtes récentes montrent que les activités pétrolières ont déjà perturbé les zones de pêche, réduit l’accès à certains sites traditionnels, provoqué des déplacements et généré tensions sociales. Les pêcheurs signalent baisse des captures, inquiétudes sanitaires et compensation insuffisante.
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Ce que disent les évaluations indépendantes
Les auditorats et ONG qui ont revu les ESIAs/Tilenga & Kingfisher soulignent plusieurs faiblesses : insuffisance d’analyses sur la gestion des eaux usées et des boues, manque d’études détaillées sur l’impact hydrologique, plans de restauration insuffisants, et mécanismes de responsabilité flous en cas de pollution transfrontalière (impact potentiel sur la RDC). Ces lacunes affaiblissent la crédibilité des mesures de mitigation proposées par les développeurs.
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Preuves récentes et événements à surveiller
Des rapports et briefs de terrain (organisations locales et régionales) publiés en 2023–2025 documentent : fermetures temporaires de zones de pêche, plaintes de contamination, et inquiétudes quant à une préparation inadéquate aux scénarios de marée noire ou aux rejets accidentels. Les analyses transfrontalières insistent sur le fait que le lac, partagé entre l’Ouganda et la RDC, nécessite des mécanismes bilatéraux contraignants de prévention, détection et riposte.
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Mesures urgentes recommandées (prioritaires)
- Surveillance environnementale indépendante et publique : stations de mesure de la qualité de l’eau et de la biomasse piscicole gérées par un consortium indépendant (gouvernements + communautés + ONG).
- Plans de prévention et de réponse aux marées noires accessibles publiquement, avec exercices réguliers impliquant les pêcheurs locaux.
- Interdiction temporaire ou zones tampons autour des frayères et zones sensibles pendant les phases de forage et d’installation.
- Gestion stricte des eaux produites et des déchets de forage : zéro rejet dans le lac, systèmes de réinjection/traitement certifiés, et vérification indépendante.
- Mécanismes de compensation et de restauration crédibles : plans de réinstallation conformes aux standards internationaux et programmes de restauration des habitats lacustres financés par les développeurs.
- Gouvernance transfrontalière : création d’un cadre légal entre l’Ouganda et la RDC pour gérer les risques partagés et définir responsabilités et procédures d’indemnisation.
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Appel aux lecteurs / aux décideurs locaux
Les communautés de pêcheurs, les autorités locales, la société civile et les partenaires internationaux doivent exiger transparence totale sur les plans de gestion des risques, l’accès aux données de qualité d’eau, et l’application stricte des conditions des ESIAs. Sans garde-fous robustes et supervision indépendante, les risques pour la sécurité alimentaire, la santé et l’économie locale restent élevés.
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Conclusions
Les projets Tilenga et Kingfisher offrent des promesses économiques pour l’Ouganda, mais les coûts écologiques et sociaux — en particulier pour le Lac Albert et les communautés halieutiques qui en dépendent — peuvent être irréversibles si les manquements identifiés ne sont pas comblés. Une approche prudente, transparente et centrée sur la protection du lac et des pêcheurs est indispensable pour limiter la dégradation des écosystèmes halieutiques et préserver les moyens d’existence locaux.
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Sources principales consultées (sélection)
• AFIEGO, Research brief — Impact of Lake Albert oil project on fisherfolk in Uganda, avril 2024.
• CSCO, An Audit of the Approved Environmental and Social Impact Assessments for Tilenga, Kingfisher, and EACOP, 2024.
• NCEA review & Tilenga ESIA documents (rapports d’évaluation indépendants).
• ELAW, Transboundary Impacts of Oil Projects in Uganda, oct. 2025 (analyse sur eutrophisation et déchets).
• Articles et enquêtes récentes (Mongabay, The Guardian) sur risques de pollution et conséquences sociales.

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